Prescription décennale - pas de suspension en cas d'expertise

04/12/2019

La suspension de la prescription résultant de la mise en oeuvre d’une mesure d’instruction n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale.

Un maître de l’ouvrage fait construire deux chalets avec un sous-sol commun. Après la réception des travaux, prononcée le 19 juillet 2001, les acquéreurs en août 2010 assignent en référé expertise le constructeur et l’assureur dommages-ouvrage (DO) en raison de présence persistante d’eau dans les sous-sol. L’expert, désigné par une ordonnance du 21 octobre 2010 (rendue commune au constructeur et à son assureur), dépose son rapport le 9 juin 2014. En septembre 2014, les acquéreurs assignent l’assureur DO ainsi que le constructeur et son assureur.

En première instance, l’action est déclarée prescrite à l’encontre de l’assureur de responsabilité décennale du constructeur.

La décision est infirmée par la cour d’appel mais l’arrêt est censuré par la Cour de cassation au visa des articles 2239 et 2241 du code civil. Pour condamner l’assureur de responsabilité décennale au paiement de différentes sommes au syndicat des copropriétaires et aux copropriétaires (les acquéreurs), l’arrêt retient que, si leur action contre l’assureur du constructeur devait être exercée avant le 17 juillet 2013, elle n’était pas prescrite à la date de l’assignation au fond de la société d’assurance, le délai de prescription ayant été suspendu entre la date de l’ordonnance de référé étendant l’expertise judiciaire à la société d’assurance et la fin du délai de six mois suivant le dépôt du rapport d’expertise. En statuant ainsi, alors que, pour être interruptive de prescription, une demande en justice doit être dirigée contre celui qu’on veut empêcher de prescrire et que la suspension de la prescription résultant de la mise en œuvre d’une mesure d’instruction n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Remarque : cette décision souligne classiquement la règle selon laquelle, pour être interruptive de prescription, une demande en justice doit être dirigée contre celui qu’on veut empêcher de prescrire.

En l’espèce, les acquéreurs n’avaient pas assigné au fond, avant juin 2014, l’assureur de responsabilité décennale du constructeur. Dès lors, l’action à son encontre survenait après l’expiration de la garantie décennale (juillet 2011), augmenté du délai de deux ans de l’article L. 114-1 du code des assurances (juillet 2013). De surcroît, il ne pouvait pas être considéré que le délai de forclusion de l’article 1792-4-1 du code civil, avait été suspendu, par application de l’article 2239 du même code, pendant la durée de l’expertise judiciaire ; en ce sens, les opérations d’expertise judiciaire n’emportaient aucune suspension du délai de forclusion pour agir en garantie décennale.

En l’état, l’assignation en référé expertise de 2010, qui ne visait qu’une demande d’expertise, ne pouvait pas être considérée comme une « demande en justice » (c’est-à-dire une demande en condamnation pécuniaire), interrompant la prescription décennale, au sens de l’article 2241 du code civil.

[Cass. 3e civ., 19 sept. 2019, n° 18-15.833, n° 733 D]{.underline}